samedi 19 janvier 2008

La Terre gonfle ?

En 1989. C'était une hypothèse iconoclaste, reprise d'un vieux débat. Rien de solide. Mais cela permet de parler des choses en les remettant en question. Ma préférence. Les dogmes sont les révolutions de demain.



Et si la Terre gonflait ? A contre courant, quelques scientifiques estiment qu'à la manière d'un vulgaire ballon que l'on remplit d'air, notre planète enfle. Un gigantesque et tranquille mouvement d'expansion à l'échelle des millénaires, dont le rythme très lent échappe aux yeux des habitants de la Terre. N'empêche, le phénomène dont on parle serait finalement titanesque, à l'échelle géologique. Une estimation de l'augmentation du diamètre de 50 % lors des derniers 700 millions d'années est avancée ! Un phénomène qui expliquerait au passage l'allongement constaté de la durée du jour (par ralentissement de la rotation terrestre), et l'éloignement progressif de la Lune.

Cette provocante thèse du passage d'un diamètre de 8.000 à 12.800 km en une période relativement courte (toujours à l'échelle géologique) ne séduit pas les foules dans les laboratoires. Elle est même largement contestée. Pourtant, cette idée, formulée dès le siècle dernier, et reproposée dans les années 50, a toujours d'irréductibles adeptes dans les laboratoires. Des géophysiciens, appuyés par des paléontologistes, trouvent carrément dans un tel embonpoint des explications à des phénomènes inexplicables qu'ils constatent en arpentant le dos de l'écorce de notre planète. Et à l'instar de Hugues Owen, chercheur en histoire naturelle au British Museum, ils ne désespèrent pas de montrer que le diamètre de la Terre est une variable. "Ce concept d'expansion pose des difficultés majeures pour le dogme physique et géologique établi. Mais rien n'y est vraiment nouveau...", juge Owen.

Un colloque, organisé par l'Association Française pour l'Avancement des Sciences a précisément été consacré au sujet, en novembre 1989 à Orléans. Les "immobilistes", qui estiment que la Terre n'a pas varié de volume au cours des 4,5 milliards d'années de son histoire géologique, y ont reconnu qu'ils manquaient d'éléments pour jeter définitivement aux orties l'idée que le globe pourrait gonfler comme un soufflé. Une prudence qui ne signifie pas, bien sur, que les "inflationnistes" aient raison. Mais ce débat démontre à quel point il est difficile, même à notre époque technologique, d'avoir une idée précise sur la manière dont évolue et se comporte notre bon vieux plancher géologique. Sans parler du sous-sol, du noyau et du manteau de notre Terre, dont on ignore à peu près tout.

Pour commencer, il faut savoir que le forage le plus profond que l'homme ait jamais creusé pour aller voir dans l'écorce de sa planète (dans la péninsule de Kola, en URSS), atteint à peine 13 km. Et encore, il a fallut pour cela près de 20 ans, avec des difficultés technologiques qui ont rapidement tourné au cauchemar, en raison de la pression, de la température, et de la nature des roches rencontrées. Autant dire que l'on ne dispose d'aucun moyen d'aller contempler les roches "in situ" à plusieurs centaines de kilomètres de profondeur, à des pressions de plusieurs milliers de kilobars et des températures dépassant, dans le noyau, 5.000 degrés C. Pour les scientifiques, les seuls recours sont alors les moyens indirects, comme des dizaines de stations sismiques réparties à travers les continents, capables de détecter les ondes produites par les séismes, de les traquer et de reconstituer leur parcours à travers le manteau.

Les ordinateurs, venus à la rescousse, sont, à partir de telles données, capables aujourd'hui de recomposer des images du sous-sol en trois dimensions. Alors, ne sait-on pas tout sur les dessous de notre planète ?"Loin de là. Le meilleur exemple, c'est que les prévisions qui avaient été faites à l'aide de moyens sismiques par les Soviétiques ou par les Allemands dans le Palatinat, pour préparer leurs forages à grande profondeur, ont été largement infirmées par l'expérience. En creusant, ils ont trouvé des fluides où ils n'en attendaient pas...", souligne Xavier Le Pichon, directeur du laboratoire de géologie de l'Ecole Normale Supérieure et membre de l'Académie des Sciences.

Pourtant, depuis 25 ans des progrès spectaculaires ont été réalisés. Le séisme intellectuel, le mot est faible, ayant été en 1967 l'adoption par la communauté internationale de l'idée que les continents granitiques et légers (30 % de la surface du globe) sont entraînés dans leur dérive par une sorte de tapis roulant de basalte (70% de la surface, le fond des océans), mis en mouvement par des remontées de magma depuis le manteau terrestre, dans de grandes failles (plus de 60.000 km au total sur le Terre). La dérive des continents, la tectonique des plaques devenait la thèse admise (voir encadré). Du coup, on expliquait pourquoi les formes des continents semblent tant s'imbriquer les unes dans les autres, pourquoi l'écorce terrestre, jeune, mesure à peine 5 à 10 kms d'épaisseur sous la mer, contre 30 sous les continents. Les montagnes sont devenus les marques des grandes collisions entre des continents qui se chahutent dans un colossal mouvement de voitures-tamponneuses, avec leurs "froissements" de tôles que sont l'Himalaya ou les Alpes.

Et une grande part du volcanisme et des séismes, comme en Islande (sur l'axe médio-Atlantique) ou sur la "ceinture de feu", le chapelet de volcans qui entoure Pacifique était également comprise. Au Japon, par exemple, le fond océanique, venant de l'est, poussé par l'apport en matériaux sur le fond du Pacifique, à des milliers de kilomètres de là, vient s'enfoncer sous l'archipel. Créant dans un énorme mouvement de subduction (enfoncement) la fosse du Japon. Pas besoin d'être un expert pour comprendre que le fond océanique ne va pas glisser sous les milliards de tonnes du Japon aussi aisément qu'une savonnette humide. "Les frottements, les compressions sont énormes. La plaque qui s'enfonce sous l'autre entraîne celle-ci, l'accroche au passage. Jusqu'à ce que la plaque de surface portant le Japon atteigne un effort de rappel supérieur aux frottements. C'est le "décrochage" et la remontée brutale, avec une fantastique libération d'énergie. Le séisme ainsi provoqué est en outre accompagné d'un tsunami (raz de marée) induit par ce fantastique mouvement de terrain", précise Xavier Le Pichon, qui a plongé à plusieurs reprises à plusieurs milliers de mètres dans la fosse du Japon, à bord du submersible de l'Ifremer, le Nautile. La légende dit que le Japon est ainsi posé sur un irascible poisson-chat, et au vu des mouvements de terrain qui ont lieu actuellement, les Japonais s'attendent à un gigantesque séisme dans la région de Tokai.

Pour Le Pichon, auteur (en 1968) du premier modèle planétaire de dérive des continents, l'idée que la planète pourrait gonfler est totalement fausse. Tout le matériel du fond océanique qui monte former de jeunes plaques sur des dorsales, comme celles du centre de l'Atlantique ou de l'est du Pacifique disparait finalement dans les mécanismes de subduction.
Un point que contestent les "expansionnistes", qui estiment que la subduction ne dévore pas tout le fond qui est monté à la surface dans les dorsales.

Surtout, ils estiment que la Pangée, le continent unique que formaient toutes les terres émergées il y a 200 millions d'années, avant de se briser sous l'effet de la tectonique des plaques, n'a pas une forme correcte si on ne prend pas en compte une variation du volume de la planète. Les chercheurs se sont livrés au petit jeu du film à l'envers. En inversant fictivement le mouvement des continents, en cherchant les races de leurs changements de direction, ils ont reconstitué le super-continent qu'ils formaient quand ils se trouvaient tous agglutinés. Mais dans cette reconstitution persistent un certain nombre de "trous", des terres manquantes, occupées par des mers intérieures. Et ce ne sont pas des détails : la surface de ces zones manquantes serait supérieure à l'actuelle Afrique. Ces terrains évanouis se seraient-ils effondrés, comme le pensent certains géologues, où sont-ils précisément la preuve que la planète, à l'époque, était d'un volume plus réduit ? Si l'on fait intervenir, en plus de la dérive à l'envers des continents, une variation de volume de la Terre (20 % en 200 millions d'années), les 10 à 12 plaques continentales de l'écorce terrestre s'imbriquent bien mieux. Et forment du coup une superbe Pangée sans mer intérieure. Débat de spécialistes ? Pas seulement.

Un certain nombre de paléontologues, ou de biogéographes comme Hervé Lelièvre, du Muséum National d'Histoire Naturelle, sont capables eux aussi de dresser des cartes situant les continents à la surface de la planète à diverses époques. Mais à l'opposé des géologues, ils ne traquent pas les mouvements du sol. C'est en cherchant les liens de parenté entre les espèces animales et végétales des différentes époques qu'ils déduisent la proximité de certains continents, l'existence de points de passage. Leur argument reposant sur l'étude des fossiles, on pourrait le résumer de la façon suivante. Si l'on retrouve des traits communs à des animaux vivants sur deux plaques continentales aujourd'hui séparées par des océans, ces deux plaques ont jadis du se toucher. Et la datation de la perte de contact entre les continents se fait à partir des plus récents fossiles communs aux deux plaques.

Pour expliquer des migrations de vertébrés (hétérostracés), les biogéographes aimeraient par exemple que l'Australie et l'Amérique du sud aient été en contact à une époque où la seule tectonique des plaques, si l'on remonte à l'envers le film de la dérive des continents, les sépare de plusieurs milliers de kilomètres de mer (Panthalassa). Par contre, si l'on admet à ce moment-là une taille de la planète de l'ordre de 80 % de son volume actuel, les deux continent se touchent. Et du coup on explique que les formes australiennes et boliviennes de certains vertébrés se ressemblent tant. C'est vrai encore pour d'autres espèces , comme des insectes (Keroplatidae).

Cet argument est-il suffisant ? "Rien ne peut physiquement expliquer aujourd'hui une expansion rapide de la planète, une variation de son volume", estime Xavier Le Pichon. S'appuyant sur des batteries de données paléomagnétiques (les traces du changement du magnétisme de la planète, qui permettent elles aussi, de retrouver les places des continents dans le passé), géochimiques (on imagine mal quel mécanisme a pu mener les roches du manteau ou du noyau de la Terre a changer de volume), géodésiques (surveillance de la forme de la planète et des positions des continents), le chercheur s'insurge. "On ne voit pas pourquoi les continents devraient s'emboîter parfaitement à un moment donné pour former une Pangée parfaite, sans mers intérieures.

D'ailleurs quelle Pangée ? Celle qui s'est formée il y a 200 millions d'années a certainement beaucoup changé d'allure pendant les 100 millions d'années de son existence. Et dans l'histoire de la Terre, il y probablement eu à plusieurs reprises formation d'un continent unique, par rassemblement des plaques continentales. La Pangée d'il y a 200 millions d'années n'était probablement pas la première". Le géophysicien pense que les continents se sont à plusieurs fois rassemblés, puis à nouveau dispersés sous l'effet des mouvements du manteau terrestre, dans les entrailles de la planète ? Pourquoi ces alternances de dispersions et de regroupements des continents ? Prenons l'image d'une casserole de chocolat. A un moment de la cuisson une peau se forme (un continent unique), par remontée des éléments les plus légers. Comme cette peau isole le liquide bouillant de l'air, le bouillonnement (convection) se trouve modifié, et déchire la peau en plusieurs fragments, qui partent à la dérive sur le chocolat liquide. Statistiquement, ils finissent par se retrouver quelque part, pour former une nouvelle peau unique. Puis à nouveau, en modifiant la manière dont peut s'évacuer la chaleur, le liquide déchire le super-continent unique en plusieurs fragments, et les fait voyager...

Les expansionnistes ne partagent pas cet avis. Pour eux, la planète, jadis petite, s'est entièrement recouverte d'un continent unique, qui contenait toutes les roches légères, et par la suite, sous l'effet du gonflement , cette croûte se serait disloquée pour partir à la dérive, sous l'effet de la tectonique des plaques. Qui a raison ? Les nouveaux moyens de surveillance de la Terre, notamment les satellites, sont en train de rendre leur verdict. Les mesures actuelles sont déjà défavorables aux partisans d'un gonflement rapide de la planète. Mais quelque soit le mécanisme, le moteur de ces mouvements, la chaleur du noyau de la Terre, est d'origine radioactive. Déjà 5 à 6 fois moins chaud qu'à l'origine, le coeur de la planète finira par se refroidir. Et les continents de s'immobiliser...


Des continent à la dérive (encadré)
Dans la foulée des idées du météorologue Alfred Wegener, qui proposa dès 1912 de considérer les continents comme des barques flottant sur le magma de la planète, les géophysiciens aboutirent au modèle de "tectonique des plaques" dans les années 60. Comment ça marche ? En partant du centre, la Terre est désormais considérée comme l'emboîtement d'une graine solide (1200 km de rayon), peut-être du fer quasiment pur, dont le diamètre augmenterait doucement, à cause du "refroidissement" des roches. Il y fait quand même 5500 degrés.
Autour, le noyau externe (jusqu'à 3500 km de rayon) est liquide, formé de fer, de nickel, d'oxygène et de soufre. Plus haut encore, c'est le manteau, découpé, vers 670 km de profondeur sous nos pieds en parties inférieures et supérieures, de compositions chimiques différentes. Les agglomérats de silice, de fer, de magnésium, de calcium et d'aluminium y prennent différentes allures, que l'on reconstitue en laboratoire dans des presses chauffantes.
C'est là que se forment les mouvements de convection, les gros bouillons lents de la roche pâteuse, qui mettent en mouvement la fine croûte terrestre (quelques 5 à 30 kilomètres d'épaisseur). Quand le courant monte, il apporte du magma, qui vient rajouter de la matière (volcanismes et dorsales), et repousse le tapis roulant du fond océanique à des vitesses de l'ordre de quelques centimètres par an. Jusqu'à se renfoncer sous le prochain continent (zone de subduction), dont les roches légères persistent à flotter en surface. Le fond des mers est ainsi refondu en permanence dans le manteau.


Des yeux à percer le sol (encadré)
Pour mieux ausculter le monde inconnu de notre Terre, les scientifiques fourbissent toute une série de nouveaux moyens. L'objectif étant à terme de voir "bouger" la planète en temps réel, ce qui permettra de mieux comprendre, et peut-être de prévoir séismes et volcanisme. Dans la panoplie, il y a les sonars. De plus en plus perfectionnés, comme l'EM 12 Dual de l'Atalante, le nouveau navire de l'Ifremer, ils vont permettre de dresser enfin de vraies cartes du fond des mers. Quand on sait qu'on y découvre encore des chaînes de montagnes inconnues, des volcans géants, des failles, des structures inédites, et que les mers recèlent une bonne part des secrets de la dérive des continents, on mesure l'enjeu...
Mais pour violer l'intimité du sous-sol, il faut aussi savoir prendre du recul. Avec des satellites, par exemple.
Les recherches menées depuis 1976 en comparant les positions des continents en "visant" un satellite à l'aide de lasers depuis le sol (expérience LAGEOS) ont ainsi déjà largement confirmé les données de la théorie de la tectonique des plaques. "Mais des progrès restent à réaliser", précise Anny Cazenave, du Groupe de de Recherche en Géodésie Spatiale du CNES.
D'autres projets, comme Aristoteles prévoient de détecter les variations de densité à l'intérieur de la planète, en bardant un satellite de basse altitude (orbite à 200 km) de très fins détecteurs d'accélération. Pendant son vol, le satellite "verra" les entrailles de la Terre, en mesurant leurs effets sur sa trajectoire, et surveillera la forme de la planète. Qu'elle gonfle ou non.

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